La friche est un terrain qui n’est pas cultivé, où poussent les fleurs sauvages et les herbes folles. Un lieu où se terre la sauvagine, et sur lequel se complaisent les dernières espèces en liberté. Un sol laissé à l’abandon, qui ne reçoit ni engrais, ni poison. Qui ignore le soc de la charrue.

Autant dire, vous l’aurez aisément deviné, que les créateurs auxquels est consacré ce modeste site ne figurent pas sur le fronton des temples de l’art officiel et labellisé. Il s’agit essentiellement de personnes de modeste condition: artisans, ouvriers, paysans ou marginaux. N’y voyez surtout pas des excentricités dépourvues de sens, ou de simples objets de curiosité. Vous vous tromperiez lourdement! Dans cette société terriblement organisée, où le cauchemar sera bientôt remboursé par la sécurité sociale, ils nous offrent le rêve! Dans un monde désenchanté, ces hommes et ces femmes nous ouvrent les portes du merveilleux. A travers ces œuvres qui conjuguent jubilation et subversion, ils révèlent une inventivité débridée. Voyons-y les manifestations d’une imagination sans borne et délivrée de toute contrainte.




Joe Ryczko.



vendredi 26 novembre 2010

Déambulations à Paris.

Je suis passé devant le 42, rue de Seine, quand j'ai cru voir une oeuvre d'Henri Salingardes dans la vitrine de la galerie de Puybaudet. Revenu sur mes pas, j'ai pu constater que c'était bien le cas. Un curieux personnage sur une feuille de figuier. Le tout réalisé en ciment. Je n'étais pas au bout de mes surprises: à ses côtés, se trouvait un dessin de Scottie! Et puis, sur les cimaises, des montages d'Armand Avril. Etonnant. Un moment de vrai plaisir ! Pause café à la Palette. La galerie voisine, dont j'ai oublié le nom, présentait des dessins de Chaissac. Un vrai régal ! Je suis passé devant la galerie Soulié, puis en remontant la rue Mazarine, je n'ai pu m'empêcher de pousser la porte de la galerie Vanuxem qui présentait des dessins de Gaston Chaissac, d'Aristide Caillaud et de Fred Deux, entre autres. Les déambulations réservent d'agréables surprises. Nourritures terrestres au Moine Trappiste où les bières étaient excellentes. Puis cap sur le n°3, passage des Gravilliers, dans le troisième arrondissement, où Christian Berst a ouvert sa nouvelle galerie. Un très bel espace dans un quartier pittoresque. L'accrochage de Josette Rispal m'a un peu déçu. Mais le programme est prometteur. Une adresse à retenir. Sur le chemin du retour, arrêt au café Art Brut, rue Quincampoix. On y entendait le groupe rock Art Brut ! L'air du temps sans doute.

dimanche 14 novembre 2010

Jules Mougin. Merci facteur !

Le facteur-poète est décédé à 98 ans. Né dans une famille ouvrière du Nord, passé le certif, il choisit de devenir facteur en milieu rural, métier qu'il exercera toute sa vie. Proche des écrivains prolétariens et des artistes bruts, il ne cesse d'écrire et de dessiner. Il entretient également une correspondance considérable avec ses nombreux amis. Révolté, il écrit par nécessité. La rage au coeur. Il a publié une trentaine d'ouvrages dont de nombreux recueils de poèmes. Notamment chez Robert Morel, Seghers et Vodaine. Il fut l'ami de Gaston Chaissac, de Dubuffet, de Calaferte, de l'Anselme. "Il a fait avec les mots de la langue française ce que le facteur Cheval a fait avec les pierres" a écrit, à juste titre, son ami Claude Billon.

Pour saluer Madeleine Lommel.

Je me souviens de ma première rencontre avec Madeleine Lommel en 1982, à Neuilly-sur-Marne. Elle venait de créer l'association l'Aracine, avec ses deux amis Claire Teller et Michel Nedjar. Ne pouvant se résoudre à accepter le départ de la fabuleuse collection d'art brut de Jean Dubuffet pour Lausanne, ils avaient pris la folle résolution de reconstituer une collection à tout point identique à celle que l'incurie des fonctionnaires de l'art n'avait su retenir. Le pari était risqué. C'était sans compter sur le caractère impétueux, tenace et résolu de Mme Lommel. Elle ne compta ni son temps ni sa peine pour atteindre son objectif. Dans le milieu des années 70, les trois protagonistes avaient déjà commencé à réunir quelques pièces. L'association n'avait pas le sou. La mairie de Neuilly-sur-Marne avait mis à leur disposition le sous-sol d'une vieille bâtisse bourgeoise appelée "Château-Guérin". Avec des moyens très modestes, Madeleine Lommel se lança dans l'aventure. Elle sut compenser ce handicap par une intense activité. Sans relâche, elle parcourut les routes de France pour retrouver les créateurs bruts et collecter leurs oeuvres. Elle se livra à une quête passionnée et avec l'aide de ses amis s'acharna à réunir des pièces de qualité. Pour ce faire, elle n'hésita pas à traverser le pays pour récupérer des oeuvres dignes d'intérêt. Elle fit des découvertes et s'efforça de susciter des dons. Avec les maigres ressources de l'association, elle trouva le moyen de faire des acquisitions remarquables, n'hésitant d'ailleurs pas à piocher dans ses propres économies. Rigoureuse dans ses choix, tenace, toujours sur la brèche, elle parvint au bout de 20 ans à réunir une magnifique collection. Jugez-en : Adolf Wölfi, Aloïse, Hodinos, Augustin Lesage, Jeanne Ruffié, Jules Leclercq, Raphael Lonné, Madge Gill, Emile Ratier, André Robillard, Henri Darger, Carlo Zinelli, et bien d'autres. Que de chemin parcouru depuis le sombre sous-sol du Château-Guérin jusqu'au superbe et lumineux musée de Villeneuve d'Ascq! Il me souvient qu'à l'époque, certains esquissaient un air entendu devant les ambitions affichées par Madeleine Lommel et ses amis. Et pourtant les faits sont là : 3900 oeuvres dont celles des figures emblématiques de l'art brut. Une réussite incontestable. Un tel ensemble méritait un bel écrin, réalisé de belle manière par l'architecte Manuelle Gautrand. Originaire du Nord où les peintres spirites sont nombreux, Mme Lommel sut convaincre les membres de l'association de faire une donation au musée de Lille métropole. C'était la seule manière d'assurer la mise en valeur et la pérennité de la collection. Grâce aux conseils éclairés d'Henri-Claude Cousseau, le transfert s'effectua en 1999. Il est regrettable que Madeleine Lommel n'ait pu assister à l'inauguration du LaM le 25 septembre 2010. En effet, elle décéda en 2009, à l'âge de 86 ans. Mais son rêve était enfin devenu réalité.


[Photo: Clovis Prévost.]